Haïti-Observateur 11-18 février 2015
Par Rosie Bourget
Après avoir présenté quatre rubriques consécutives traitant le phénomène de gangstérisme, vous avez certainement une idée du cadre dans lequel vivent les 400 0000 habitants de Cité Soleil. Les tas d’ordures jonchent la ville, les égouts à ciel ouvert charrient les ordures venues de Port-au-Prince et toutes les agglomérations sur les collines qui entourent la ville. S’il pleut beaucoup, l’eau chargée d’ordures envahi ce bidonville construit sur une immense décharge. Au cours de notre étude, notre équipe a rendu visite à plusieurs habitants du quartier Cité soleil, Cité Carton et l’Éternel, Trois Bébés, ou Cité Lumière. Partout c’est le même désastre. Ils ont empilé quelques parpaings ou quelques tôles. La plupart de ces « habitations » avaient à l’intérieur 20 à trente centimètres d’eau pourrie. Évacuée, elle revient aussitôt. Les gens n’ont pas d’autres choix mais de vivre dans cette condition infrahumaine. Les moustiques y prolifèrent. Les conditions d’hygiène sont lamentables. La prostitution infantile bat son plein. La moitié des habitants souffrent de malnutrition, beaucoup d’enfants meurent de faim.
Les groupes d’enfants de la Cité Soleil s’organisent généralement d’eux-mêmes par tranche d’âge avec un chef à leur tête. Chaque groupe fait partie d’un groupe plus important qui est contrôlé par un chef de quartier. En recourant aux intimidations, aux menaces et aux violences physiques et sexuelles, ces chefs imposent une loyauté à leur égard et exercent un contrôle sur les plus jeunes. Dans la plupart des cas, la police et l’armée Onusienne ne protègent pas les plus jeunes de la violence exercée par les hommes et les garçons de la cité plus âgés. Ticameau, un garçon de 12 ans vivant dans les rues de Cite Soleil, a expliqué que son groupe immédiat comptait quinze membres vaguement organisés et dirigés par un “chef.” D’après ce qu’il dit, les garçons de son groupe travaillent ensemble, partageant la nourriture et leurs ressources. Leur groupe fait partie d’un groupe plus grand qui opère à proximité du marché de Tabarre. Ticameau estime à soixante ou soixante-dix le nombre de garçons qui composent ce groupe plus large, lequel est dirigé par un chef adulte.
Un ex-chef d’enfants de la Cité Soleil, aujourd’hui dans la trentaine, nous a décrit comment il brutalisait les garçons plus jeunes; entre autres, il battait et intimidait les nouveaux recrus pour leur apprendre à le respecter, lui et la hiérarchie de la rue, et il leur prenait de l’argent pour s’acheter de la nourriture, de la drogue ou d’autres choses. Les filles de la Cité peuvent avoir des relations sexuelles en échange d’un peu d’argent. Beaucoup ont été victimes de viols et d’agressions sexuelles, parfois de viols collectifs répétés, et un enfant de la rue peut donc aussi accorder ses faveurs à plusieurs membres de son groupe immédiat en échange de leur protection contre les hommes et les garçons plus âgés.
Rares sont les filles de Cité Soleil n’ayant pas été victimes de viol. Nous avons eu la chance d’interroger plusieurs d’entre elles qui nous ont dit comment cela s’est passé et du coup, qui sont séropositives. Cela prend du temps mais avec une aide psychologique, les filles s’ouvrent et finissent par parler des viols et des sévices qu’elles ont subis. Les filles qui se sont prostituées pendant quelque temps ont des difficultés à s’adapter aux études et à la vie dans la cité. Beaucoup partent et retournent dans la rue. Elles sont habituées à recevoir de l’argent pour des activités sexuelles.
Même dans les cas de rapports sexuels consentis, les filles disent qu’elles n’utilisent pas souvent de préservatifs, soit parce que leurs partenaires refusent, soit parce que leur usage réduit la somme qu’elles recevront, ou encore parce qu’elles ne peuvent pas en obtenir. Le risque de contracter des MST, notamment le VIH, est donc très élevé. L’étude que j’ai réalisée m’a permis de révéler que les filles qui ont des relations sexuelles avec des hommes ou des garçons de la rue mentionnaient parfois cinq partenaires par jour, sans utiliser de préservatifs.
Rosalie, quinze ans, est partie de chez elle à l’âge de dix ans lorsque ses parents sont morts et elle vit aujourd’hui avec un groupe de filles à Cite Soleil. Elles partagent la nourriture, dorment en groupe pendant la journée et elles se livrent à la prostitution la nuit. Elle a nous raconté aux qu’elle pouvait aller avec trois ou quatre hommes chaque nuit et pouvait gagner de 1000 à 2000 dollars haïtiens. Le montant qu’elle reçoit dépend de l’usage ou non de préservatifs. Elle essaie d’insister pour que ses clients utilisent un préservatif chaque fois. Elle nous a confié, « Parfois des hommes arrivent et me prennent de force et après, ils partent sans laisser d’argent. Cela arrive souvent… J’ai commencé ce travail lorsque j’avais dix ans. Ce n’est pas une belle vie. Je préférerais aller ailleurs et étudier si j’avais les moyens. » dit-elle.
Gracieuse a commencé à faire commerce de son corps à l’âge de 9 ans. Elle nous a dit qu’elle pouvait gagner jusqu’à 500 gourdes par nuit. Elle a dénoncé des abus sexuels commis par des hommes plus âgés qui profitent de sa position de vulnérabilité. « Ce sont des hommes qui arrivent en voiture, ils ont des rapports avec vous, puis ils vous laissent sans argent. Il y a d’autres hommes qui viennent et qui nous battent. Ils volent notre argent, nous tirent les cheveux ou prennent nos vêtements. Les policiers et les soldats onusiens ne nous importunent pas de la même façon. Parfois, ils nous offrent de l’argent, d’autres nous donnent rendez-vous pour nous payer la prochaine fois. »…(à suivre).
r_bourget@yahoo.com
MTS (Maitrise en Travail Sociale)