Par Rosie Bourget
Haiti Observateur 26 novembre-4 decembre 2014
Selon l’adage « Qui sème la guerre récolte la vengeance ». Les centaines de personnes rassemblées à Ferguson, dans le Missouri, ont laissé éclater leur colère après la décision d’un jury d’accusation du comté de Saint Louis de blanchir le policier blanc Darren Wilson, qui avait tué Michael Brown, jeune Noir abattu en août dernier, qui avait reçu au moins six balles, le 9 août 2014.
Alors que la justice américaine a conclu que l’officier Wilson, qui avait tiré à douze reprises, avait agi dans le cadre de la loi, de son côté, moins d’une heure après l’annonce du jury d’accusation, le président Barack Obama s’est joint aux parents du défunt pour demander à toute personne souhaitant protester de le faire de manière pacifique, tout en rappelant que les États-Unis sont une nation basée sur l’état de droit, il nous faut donc accepter ce verdict en dépit des dispositions contraires. Le président américain a aussi souligné, « Dans trop de régions du pays, il existe une profonde méfiance entre les forces de l’ordre et les communautés de couleur », a-t-il reconnu, évoquant « l’héritage de la discrimination raciale ». À ses yeux, « ce n’est pas seulement un problème pour Ferguson, c’est un sujet qui concerne toute l’Amérique ». Parallèlement, une enquête fédérale se poursuit, elle est in dé pendante de l’enquête locale a souligné le ministre de la Justice, Eric Holder.
Certains Américains sont d’accord avec l’approche du président. Mais d’autres, qui sont profondément déçus et même en colère, n’ont pas hésité à manifester leur mécontentement. Des tirs d’armes automatiques dans le quartier où Michael Brown a été abattu ont été entendus. Des scènes de pillage ont également eu lieu dans cette banlieue de Saint Louis.
L’union fait la force (United we stand)
Dans la douleur tout homme réagit, il n’y a pas de paix sans justice. Pendant plusieurs semaines, après la mort de Michael Brown, l’adolescent qui n‘était pas armé a été tué le 9 août dernier ; des rassemblements ont eu lieu pour dénoncer les abus policiers. De nombreuses villes américaines ont pris part à ce mouvement de protestation contre le racisme dans l’institution policière. De New York à Washington D.C., en passant par Los Angeles et Seattle, des milliers de manifestants ont également protesté contre ce qu’ils qualifient de « déni de justice». Des protestations ont également eu lieu à Boston, Philadelphie, Denver, ou encore Chicago et Salt Lake City, pour la plupart sans heurts graves. Un autre groupe de manifestants s’est rassemblé à Union Square (à New York), tandis que d’autres protestataires avaient prévu de rejoindre Harlem à pied derrière une pancarte réclamant « justice pour Michael Brown ».
Du coup, plusieurs centaines de protestataires se sont aussi réunis devant la Maison-Blanche, à Washington, scandant « les mains en l’air ne tirez pas », le slogan est devenu un cri de ralliement des manifestants depuis le drame dans cette petite ville du Missouri. Selon la chaîne CBS, à Oakland (Californie, ouest des États-Unis) quelque 2 000 personnes ont bloqué une autoroute, ce qui avait occasionné « de nombreuses » arrestations, d’après le quotidien San Francisco Chronicle. Plusieurs dizaines de manifestants, certains s’allongeant à même le sol, dans la rue, pour faire un « die-in », ont également tenté de bloquer des intersections à Beverly Hills ou au sud de Hollywood, avec en main des pancartes où l’on pouvait lire « la résistance est justifiée, de Ferguson à Gaza ».
À quand une lueur de justice pour les Noirs ?
Même après l’abolition de l’esclavage, en plein 21e siècle, les Noirs sont encore traités comme des objets. Que ce soit par un policier ou un civil blanc, aux États-Unis, lorsqu’il s’agit de fusiller ou de battre un Noir, c’est la thèse de la légitime défense qui prend toujours le dessus. On se souvient de Rodney King, un citoyen américain qui, le 3 mars 1991, avait été victime de violences policières, suite à son interpellation par des agents de police de Los Angeles.
Après 56 coups de bâton et six coups de pieds, cinq ou six officiers avaient maîtrisé King, lui passèrent les menottes avant de lui lier les bras et les jambes à l’aide de cordes. Il fut ensuite traîné à plat-ventre comme un animal vers le côté de la route, dans l’attente d’une ambulance. Les deux passagers qui étaient dans la voiture étaient relâchés et laissés libres.
À l’hôpital, Rodney King reçut vingt points de suture dont cinq à l’intérieur de la bouche, l’examen médical montra qu’il a eu la mâchoire fracturée et la cheville droite cassée. Il fut gardé sous les verrous pendant quatre jours, avant d’être relâché après qu’il fut déterminé par un procureur qu’aucune charge ne pouvait être retenue contre lui.
Le passage à tabac de King par plusieurs policiers fut filmé par un témoin vidéo amateur, George Holliday, qui prit à distance la majeure partie de l’incident. La vidéo, qui en fut tirée et le procès qui s’ensuivirent, furent largement médiatisés aux États-Unis. L’acquittement des policiers lors d’un premier procès déclencha les émeutes de 1992, à Los Angeles.
La vidéo de George Holliday dure au total neuf minutes et vingt secondes; elle commence avec des images montrant King se jetant sur l’officier Powell et les différentes phases du tabassage, y compris son attache avec des menottes et des cordes. Des séquences montrant la brutalité des policiers et leur acharnement contre lui étaient repris par les chaînes de télévision du monde entier, provoquant une indignation générale.
Le 29 avril 1992, à Los Angeles, moins de deux heures après que le jury eut acquitté les quatre officiers de police poursuivis, les émeutes débutèrent dans cette ville. Elles durèrent six jours, bien que les événements les plus importants eussent lieu entre le soir du verdict et le troisième jour.
Finalement, on dénombrait entre 50 et 60 morts et 4 000 arrestations; et des dommages matériels qui s’élevaient entre 800 millions et un milliard de dollars. Il y eut plus de 3 600 départs de feu, qui détruisirent 1 100 bâtiments. Après un déploiement important de policiers et de soldats de la Garde nationale sur place, plusieurs milliers de personnes furent arrêtées, dont 52 % d’Afro-américains, 36 % d’Hispaniques (Américains originaires d’Amérique latine) et 10 % d’Américains d’origine européenne non-hispanique. Des violences eurent lieu aussi à Seattle, Oakland, San Francisco, Las Vegas et San Diego, sur la côte ouest des États-Unis ; à New York, Philadelphie et Atlanta pour la côte est, sans toutefois connaître l’intensité de celles de Los Angeles.
En mars 1992, commença à Simi Valley le procès d’État de quatre des policiers impliqués : le sergent Koon (qui commandait les policiers mis en accusation), Powell et Wind (les deux qui infligeaient des coups de bâton à la victime), et Theodore Brise no (auteur d’un violent coup de pied). Ils étaient accusés d’« usage abusif de la force » (« use of excessive force »). La défense ayant récusé les Afro-américains, le jury d’accusation était composé de dix Blancs, d’un Asiatique et d’un Latino. La vidéo de George Holliday était versée au dossier et fut examinée image par image par des experts. Le 29 avril, après sept jours de délibérations du jury, tous les quatre furent acquittés. Reference : (États-Unis: mort de Rodney King, au centre d’émeutes raciales à Los Angeles en 1992 (La Libre Belgique).
En 1993, les policiers sont rejugés par un tribunal fédéral, avec un jury comprenant deux Noirs. Le procès débuta le 25 février. Le 9 mars, King, qui fut appelé à témoigner, déclara qu’il « essayait seulement de rester en vie ». Le 11 avril, le jury rendit un verdict de culpabilité contre le sergent Stacey Koon et l’officier Laurence Powell ; ils furent condamnés en août à 30 mois de prison. Timothy Wind et Theodore Brisenon furent acquittés. Le sergent Koon et le policier Powell commencèrent à purger leur peine dans des prisons différents, en octobre 1993 et seront furent libérés en décembre 1995. La ville de Los Angeles fut condamnée à verser des dédommages de USD 3,5 millions à Rodney King ; il en utilisa une partie pour fonder un label de musique rap, Alta-Pazz Recording Company. Rappellons que le 17 juin 2012, Rodney King fut retrouvé « inconscient » au fond de sa piscine, à Rialto, près de Los Angeles. Il fut déclaré mort à 6 h 11 le même jour.
Tant que les Noirs ne sont pas reconnus comme citoyens du monde, l’histoire de (koupe tèt boule kay » se répètera toujours.
r_bourget@yahoo.com
MTS (Maitrise en Travail Social)