QUEL AVENIR POUR CES ENFANTS DE CITE SOLEIL IMPLIQUÉS DANS DES GANGS? (4ème partie)


Haïti-Observateur 28 janvier – 4 février 2015

Par Rosie Bourget

Un milieu socio économiquement défavorisé, un cadre familial instable ou même violent, des difficultés scolaires et plus tard d’intégration au milieu de l’emploi sont des facteurs qui, plusieurs en conviendront, décrivent le parcours des personnes aux prises avec une multitude de problèmes psychosociaux. En effet, ce sont à peu de choses près ces mêmes facteurs qui sont associés à l’itinérance, à la délinquance ou même à la dépression. Néanmoins, il va sans dire que toutes les personnes connaissant de telles difficultés ne finissent pas par joindre les rangs des gangs. Il semble, d’une part, que certaines personnes plus que d’autres soient attirées par la perspective d’adhérer aux gangs et que, d’autre part, les gangs soient plus intéressés à recruter certaines personnes plutôt que d’autres. Quoi qu’il en soit, l’appartenance aux gangs n’est le fait que d’un nombre restreint de personnes.
Sur la base d’une recension systématique de la documentation scientifique relativement récente, Klein et Maxson (2006) ont organisé l’ensemble des caractéristiques personnelles susceptibles d’influencer l’intégration aux gangs de rue en sept grandes familles : les événements de vie négatifs, une faible estime de soi, les comportements et manifestations liés à l’internalisation (anxiété, dépression), les problèmes de comportement en général, les croyances antisociales, l’implication dans les activités conventionnelles ou prosociales et les attitudes faces à l’avenir. Des sept familles de facteurs recensés dans la documentation scientifique récente, seuls les événements de vie négatifs et les problèmes de comportement en général étaient associés à l’intégration dans les gangs tant dans les études longitudinales que transversales.
Par ailleurs, la synthèse indique que les croyances antisociales reçoivent un appui empirique partiel. Les travaux portant sur les problèmes d’internalisation, la participation à des activités conventionnelles et les attitudes face à l’avenir ne donnaient, quant à eux, pas de résultats concluants. Les nombreux travaux portant sur les problèmes d’estime de soi indiquaient dans la grande majorité des cas qu’ils ne parvenaient pas à discriminer les délinquants impliqués dans les gangs des délinquants ne faisant pas partie de tels groupes. Les facteurs susceptibles de discriminer les membres des non-membres sont donc des facteurs traditionnellement associés à la délinquance grave et persistante.
Les personnes associées aux gangs comptent un nombre important de facteurs de risque. Elles proviennent de familles généralement désorganisées, parfois même violentes et qui n’offrent que peu de surveillance. Elles ont aussi tendance à habiter des quartiers défavorisés. Les jeunes qui décident de joindre les rangs ont par ailleurs plus tendance à éprouver des problèmes d’externalisation, voire des structures psychopathiques de personnalité, principalement caractérisées par du détachement émotionnel et des difficultés à être empathiques. Par ailleurs, leurs performances et leur fonctionnement scolaires sont faibles et leurs perspectives d’intégration à l’emploi, même s’ils choisissaient de préconiser cette voie, sont peu reluisantes.
Néanmoins, ces facteurs de risque ont aussi tendance à caractériser bon nombre de délinquants qui ne sont pas associés aux gangs. Comme l’exposition à divers facteurs de risque dans différents domaines augmente de manière importante les vulnérabilités à une panoplie de difficultés et de problèmes (Rutter, 2006), nous pouvons nous demander si l’accumulation de ces facteurs de risque joue de manière cumulative sur le risque d’adhésion. En fait, plus le nombre de facteurs de risque augmente, plus la probabilité d’adhérer aux gangs augmente. En résumé, les travaux sur l’effet cumulatif des facteurs de risque indiquent que, plus ceux-ci sont nombreux, plus la probabilité de commettre des délits et de se joindre aux gangs augmente. De plus, l’effet cumulatif des facteurs de risque est d’autant plus important qu’augmente le nombre de domaines criminogènes touchés par ces facteurs de risques.

En somme, les travaux visant à décrire les personnes associées aux gangs sont particulièrement cohérents. Ces personnes sont principalement de jeunes hommes, quoique les jeunes femmes, moins nombreuses, y jouent la majeure partie du temps un rôle secondaire. Les personnes associées aux gangs sont plus jeunes (on ne peut toutefois pas statuer à l’heure actuelle si ce constat est lié au fait qu’elles sont recrutées plus tôt ou simplement parce qu’elles sont judiciarisés à un plus jeune âge), que la moyenne des délinquants. Toutefois, les personnes les mieux intégrées aux groupes sont de plus en plus âgées. Ces personnes proviennent pour la majorité de milieux familiaux instables et désorganisés, où l’encadrement et le contrôle parentaux font défaut. Elles ont aussi été aux prises avec des problèmes scolaires et accusaient déjà des retards dans leur cheminement. Ces retards sont souvent associés au décrochage scolaire et à des difficultés à intégrer le monde du travail.

Du point de vue personnel, les personnes associées aux gangs ne se distinguent pas notablement des autres délinquants. Ce sont généralement des personnes qui ont commencé tôt à avoir des problèmes de comportement, et qui partagent beaucoup de caractéristiques avec les délinquants que certains qualifient d’externalisés ou qui ont de fortes tendances psychopathiques. Ces tendances les pousseraient à se joindre aux gangs et à s’acclimater sans trop de difficulté au climat de violence et aux valeurs délinquantes qui ont cours dans ces groupes. L’étude de la délinquance et de l’association aux gangs indique que les facteurs de risque ont un effet cumulatif important, ce qui signifie que, plus le nombre de facteurs est élevé et plus il touche un grand nombre de sphères de vie, plus les personnes sont susceptibles d’adhérer aux gangs, ou plus les gangs sont susceptibles de les recruter.

Les enfants de la rue de Cité Soleil sont souvent les premiers à être soupçonnés lorsque de l’argent ou des biens sont volés, ou bien un enlèvement est fait dans un quartier où ils se rassemblent. Au cours des quinze dernières années, de nombreux facteurs socio-économiques, complexes et étroitement liés, ont conduit à une explosion du nombre d’enfants de la rue en Haïti. Ces facteurs sont notamment mais pas exclusivement: le séisme du 12 janvier 2010, qui a fait un nombre incalculable d’orphelins et d’enfants abandonnés; l’énorme quantité de personnes déplacées; une nette détérioration des services publics essentiels, qui a entraîné un accroissement de la pauvreté et du chômage; une urbanisation rapide et le démantèlement des structures traditionnelles de soutien que procurait la famille étendue en Haïti; la difficulté pour certaines femmes de prendre en charge une famille monoparentale et de certains enfants plus âgés d’assumer en tant que chefs de famille; l’impact du VIH/SIDA sur la société; et l’impossibilité pour les parents de payer les frais de scolarité et autres frais connexes.
Bien que leur nombre exact demeure inconnu, on estime que 7.000 enfants vivent dans les rues de Cite Soleil et des dizaines de milliers d’autres dans d’autres zones urbaines. Les nombreux adultes et enfants vivant dans les rues des villes partout dans le pays constituent une sous-classe urbaine croissante, avec ses propres dirigeants adultes qui exercent un contrôle étroit sur de grands groupes, parfois concurrents, de gens de la rue, et avec un langage propre, qui comprend des termes et un lexique qui ne sont utilisés que par elle. Certains hommes et femmes, qui ont grandi dans la rue, ont des enfants à eux et élèvent ainsi une deuxième génération, et en Haïti parfois une troisième génération, d’enfants de la rue qui ne connaissent rien d’autre de la vie que la rue.
De nombreux parents et enfants interrogés pour le présent rapport ont souligné que l’impossibilité pour les parents de payer les frais de scolarité et autres coûts liés à l’enseignement primaire était l’une des raisons pour lesquelles les enfants commençaient à passer du temps dans les rues. Les habitants de Cité Soleil, nous ont déclaré que “beaucoup de parents ne peuvent pas payer l’éducation de leurs enfants. Ces enfants restent chez eux sans avoir rien à faire et très vite, ils vont dans la rue pour chercher du travail dans les gangs. Ils peuvent facilement être exploités par des adultes qui les paient très peu, souvent pour des tâches très dures. Ou ils commencent à fréquenter des enfants qui vivent dans la rue depuis quelque temps. Ils risquent de commencer à boire de l’alcool, à se droguer ou à commettre des délits. Une fois habitués à la vie de la rue, ils quittent leur foyer et rejoignent des gangs de délinquants de rue.”

À l’image de nombreux enfants de la cité que nous avons interrogés, Josué nous a raconté qu’une fois qu’il avait abandonné l’école, il avait commencé à explorer la vie dans la rue. “J’ai dû arrêter l’école après avoir terminé ma troisième année. Mes parents ne pouvaient plus se permettre de payer les frais scolaires, donc j’ai commencé à fréquenter la rue à la recherche de quelque chose à faire. La vie ici à Cité Soleil est dure, il n’y a jamais assez à manger et j’ai faim. J’aimerais bien retourner à l’école et poursuivre mes études, mais comment le faire dans de telle condition.”

Selon les témoignages recueillis, la survie de beaucoup d’enfants de Cite Soleil dépend de leur capacité à trouver du travail dans l’industrie du gangstérisme pour gagner de quoi s’acheter à manger. Certains transportent des marchandises, vendent de la nourriture, travaillent dans des restaurants et des maisons, chargent et déchargent des bus affectés au transport des passagers ou effectuent d’autres travaux temporaires en échange d’argent ou de nourriture. D’autres se livrent à des activités dangereuses ou illégales telles que le vol, semer la terreur dans la Cité, la prostitution ou encore la vente de drogue et d’alcool. Certains adultes ont pitié de ces enfants et leur permettent d’effectuer des travaux pour eux en échange d’une somme raisonnable. Mais d’autres tirent profit d’eux, les payant moins que des adultes car ils savent que ces enfants n’ont guère le choix.

Plusieurs enfants de Cité Soleil nous ont avoués qu’ils se livrent à des activités louches. Outre les brutalités exercées par les chefs de gangs, les hommes et les garçons plus âgés vivant dans la cité agressent également les enfants plus jeunes. Entre autres violences physiques, les enfants disent être battus, frappés à des coups de pied, brûlés et attaqués au couteau. Les menaces et les actes de sévices corporels perpétrés sur les enfants de Cité Soleil semblent servir deux objectifs. D’une part, les brutalités sont souvent accompagnées d’un vol au cours duquel les plus jeunes sont obligés de remettre le peu d’argent dont ils disposent ou leurs maigres possessions qui font l’objet de convoitise. D’autre part, ces actions sont également importantes dans le sens où elles instaurent un contrôle et établissent une hiérarchie dans la Cité Soleil….(à suivre).
r_bourget@yahoo.com
MTS (Maitrise en Travail Sociale)

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s