Quel Avenir Pour Les Enfants De Cité Soleil Impliqués Dans Des Gangs? (première partie)


Haiti-Observateur 7-14 janvier 2015
Par Rosie Bourget

cite-soleil logo

Vous avez certainement tous entendus parler de la tristement célèbre Cité Soleil, ci-devant Cité Simone ; l’un des plus grands bidonvilles du département de l’Ouest. D’une extrême pauvreté, le secteur le plus dangereux d’Haïti regroupe environ 400 000 habitants. Cité Soleil a été fondée dans les années 1960 par François Duvalier et portait à l’origine le nom de Cité Simone, en référence à son épouse Simone Ovide. De plus, c’est l’endroit où les gros chefs de gang se cachent. Au cas où vous êtes enlevé ou kidnappé, on a plus de chance de vous retrouver à cet endroit. Cette étude/série qui sera publiée en six segments, vise à vous donner une idée globale du cadre dans lequel vivent les habitants, particulièrement les enfants de Cité Soleil.
Environ. 50 000 personnes, pour la plupart analphabètes, végètent dans des locaux mesurant environ. 8 à 10 m2 dans lesquelles s’entassent jusqu’à dix habitants. Les ordures ménagères s’amoncellent dans les ruelles étroites ou flottent dans les caniveaux d’égout qui passent devant chaque lignée de « cages ». L’odeur est pénétrante. Cité Soleil se trouve au niveau de la mer. Quand les grosses pluies légendaires des Caraïbes s’abattent sur Port-au-Prince, ces égouts débordent, inondant les passages et, évidemment, l’intérieur des maisons.

adolescents de cite soleil

Le gangstérisme à Cité Soleil, un fléau, une épidémie qui conduit les enfants à la ruine. Il faut être courageux pour mettre au grand jour cette problématique qui prend de l’ampleur tous les jours et qui détruit des jeunes pour le restant de leur vie en les marquant d’une façon inconcevable. La face cachée d’une société qui joue à l’autruche prisonnière de leur peur. Appartenir à un secte devrait aider à se sentir mieux et surtout, prôner de belles valeurs. Ce qui n’est malheureusement pas le cas en Haïti. Les jeunes préfèrent la poigne de fer et l’intimidation, instaurer un monde de terreur et de violence jusqu’à ce qu’eux-mêmes goûtent à leur propre médecine ou qu’un de leur proche tombe pour toujours. Alors là, il serait trop tard pour prendre du recul ou pour juste penser émerger du cercle dans lequel ils ont signé un pacte d’appartenance.
Située au bord de la baie, c’est un bidonville, un endroit où des gens se battent pour vivre et où avec l’aide de tous, ils parviendront certainement à s’en sortir. Ce n’est pas un endroit où vous pouvez vous aventurer seuls, bien entendu. Il y a toujours un enlèvement, un meurtre… bref, des choses plutôt malsaines, qui s’y sont produits d’heure en heure. Il faut dire que le bidonville est un ensemble de corridors et que, pour le criminel, il est facile de saisir sa proie, de l’enlever et de l’entraîner dans des dédales de corridors et de s’y cacher.
Cité Soleil, dont la très grande majorité de la population vit dans une extrême pauvreté, a été abandonnée par les services publics entre 2004 et 2007 en raison de l’insécurité. Dès que le soir tombe, on ne traverse plus Cité Soleil, rendue à sa violence nocturne. Le calme devient une denrée rare pour ne pas dire quasi inexistant, surtout la nuit.

Des dizaines de milliers d’enfants vivant dans les rues de Cite Soleil et d’autres villes de la République d’Haïti souffrent d’un extrême dénuement et sont exposés à une violence quotidienne. Expulsés de chez eux, sans encadrement ni soutien familial, ils sont victimes de toute sorte d’abus, physiques et affectifs. N’ayant pas d’accès assuré à l’alimentation, au logement, à l’éducation ou à d’autres besoins élémentaires, ils sont exploités par des adultes, notamment les chefs de gangs, les criminels notoires qui les utilisent pour des activités illégales au détriment de leur avenir et de leur bien-être, en violation de leurs droits humains fondamentaux. Ce qui nous inquiète, c’est ce qu’il adviendra de ces enfants demain. Des milliers d’enfants vivant dans la rue sans surveillance, sans éducation, sans affection ni attention, habitués à la violence et aux brutalités quotidiennes. Quel avenir y a-t-il pour ces enfants et pour notre pays?

cite soleil amaral duclona

Il est inquiétant de constater que des enfants de la cité sont recrutés de façon délibérée pour participer à des manifestations politiques dans l’intention de provoquer des troubles de l’ordre public, événements qui ont déjà fait des dizaines de morts ou de blessés parmi eux. Les enfants ne sont pas nécessairement sans famille mais vivent sans réelle protection, surveillance ou guidance d’adultes responsables. Bien que beaucoup d’enfants passent du temps dans les rues qu’ils considèrent plus que toute famille, résidence, institution ou leur réel chez-soi. Nombreux sont les enfants qui vivent dans la crainte des forces publiques, celles-là mêmes qui sont chargées de les protéger.
À propos du recrutement au sein des gangs de Cité Soleil, on note que les adolescentes se joignent à une bande marginale à travers un réseau de connaissances, d’amis ou de liens familiaux (cousins). Certains centres d’accueil sont des lieux de prédilection pour le recrutement. Plusieurs membres des gangs placés en centre d’accueil poursuivent leurs activités. Certains membres de gangs doivent se soumettre à une initiation, mais pas tous. Il existe, selon eux trois stratégies de recrutement. En premier lieu amicale, en deuxième lieu persuasive et finalement coercitive. Plusieurs adolescents m’ont raconté leur initiation : ils devaient se faire battre afin de prouver leur endurance ou encore commettre un vol.
Pour les adultes, les dizaines de milliers d’enfants vivant dans les rues de Cité Soleil sont des cibles faciles qui se prêtent à la manipulation. Comme nous avons décrit plus haut, en échange de petites sommes, les enfants se livrent à des activités illégales et, dans bon nombre de cas, ils sont exploités par des adultes, hommes ou femmes. Leur position vulnérable en fait également la proie des opportunistes politiques qui, dans le passé et jusqu’à aujourd’hui, ont recruté des enfants de la cité pour défiler lors de manifestations, pour intimider des responsables politiques et pour aider à semer l’agitation et créer des troubles de l’ordre public.

Par ailleurs, étant donné que les enfants de Cité Soleil s’organisent en groupes selon une hiérarchie bien établie, il est facile d’attirer quelques-uns de leurs chefs qui peuvent ensuite mobiliser des centaines d’enfants en peu de temps. Dans certains cas, les enfants de la cité, qui n’ont souvent rien à faire, se sentent naturellement attirés par les foules et les manifestations et ils y participent de leur plein gré. Mais le plus souvent, ils sont recrutés délibérément pour gonfler les rangs des participants présents aux manifestations publiques, au détriment de leur santé, de leur amour propre et de leur sécurité. Au cours des dernières années, des dizaines d’enfants de Cite Soleil ont été tués et beaucoup d’autres blessés en participant à des rassemblements politiques au cours desquels des affrontements ont éclaté avec la police et avec des manifestants affichant des opinions politiques opposées.

cite soleil houses

Incapables de les nourrir, encore moins de payer leur scolarité, certains parents envoient leurs enfants dans les rues pour mendier ou chercher du travail dans les gangs, ou ils les abandonnent lorsque, confrontés au chômage, ils quittent leur foyer pour partir en quête d’un emploi dans d’autres régions ou d’autres provinces. Les hommes et les femmes qui élèvent seuls leurs enfants après une séparation ou le décès de leur partenaire les exposent souvent à la violence et à l’abandon lorsqu’ils vivent en concubinage avec quelqu’un d’autre. Dans bon nombre de cas, la seconde femme ou le second mari que le parent seul vient de cohabiter avec ne veut pas s’occuper des enfants d’un père ou d’une mère précédent (e) qui sont alors délaissés ou chassés. Dans le passé, les enfants dont les parents ne s’occupaient pas étaient pris en charge par des membres de la famille. Mais certaines familles, déjà en peine de prendre soin de leurs propres enfants, ne veulent ou ne peuvent pas se charger d’enfants supplémentaires.

Le nombre d’enfants qui vivent et travaillent dans les gangs à Cité Soleil ne cesse de croître. Bien que les chiffres exacts ne soient pas connus, les militants de la protection de l’enfance estiment que le nombre d’enfants de la cité et dans d’autres zones urbaines a doublé au cours des dix dernières années. Les causes qu’ils identifient pour expliquer cette augmentation sont multiples et parfois étroitement liées. Selon les supporteurs de l’ancien président Jean Bertrand Aristide, les deux coups d’États successifs, l’une qui a débuté en 1991, l’autre en 2004 ont fait beaucoup de victimes et ont dévasté le pays. Certains enfants vivant dans les rues ont perdu leurs parents pendant les événements soit directement dans les conflits, soit à cause de la faim ou de la maladie ou ont été séparés d’eux alors qu’ils fuyaient la violence, en particulier dans le Nord de la capitale, ravagé par les « koupe tèt boule kay ». La pauvreté déjà bien établie s’est aggravée en raison des combats internes et a également décimé les familles de la cité.

Les enfants de Cité Soleil que nous avons interrogés ont donné des descriptions crues des violences physiques subies à la maison. Dans certains cas, ces violences étaient si graves qu’elles avaient été la cause de leur départ. Leurs beaux-pères et belles-mères étaient souvent les auteurs de ces sévices et ils traitaient différemment leurs enfants biologiques et ceux issus de mariages ou « passages » précédents (réservant notamment à ces derniers des châtiments sévères).

Lors de notre visite à Cité Soleil, des résidents nous ont signalé que les violences physiques infligées aux enfants à la maison étaient courantes dans beaucoup de familles vivant dans la cité, mais que les cas de maltraitance d’enfants et de négligence aboutissaient rarement devant la justice. Ils ont indiqué qu’aux termes de la loi haïtienne, ils ne sont pas bien imbus, au cas où un parent peut être inculpé et jugé responsable si un enfant est sévèrement battu mais généralement, ni les parents ni les enfants ne dénoncent les mauvais traitements à la police. Ce sont plutôt les voisins ou les membres de la famille qui tentent d’intervenir pour résoudre les problèmes familiaux. Dans la plupart de différends familiaux, l’accent est mis sur la réconciliation et non sur le châtiment, en partie parce que l’État n’a pas les infrastructures nécessaires pour accueillir les enfants maltraités ou abandonnés.……(à suivre).

r_bourget@yahoo.com
MTS(Maitrise en Travail Sociale)

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