Par Rosie Bourget
Un artiste est comme l’arbre, ses racines abritent d’autres arbres. Etant fanatique de Rodrigue et amante de la bonne musique, je me permets, avant de payer tribu à la nature, de rendre un vibrant hommage à Rodrigue MILLIEM pendant qu’il est encore vivant, et d’apporter à mes lecteurs quelques informations relatives à sa carrière artistique.
Né le 27 octobre 1946 à la Cathédrale de Port-au-Prince, le jour même du mariage de ses parents. Sa mère l’ayant mis au monde devant l’autel au moment où le prête célébrait la bénédiction nuptiale. Le Curé a du arrêter la cérémonie pour transporter d’urgence sa mère à l’Hôpital Général afin de se faire couper le cordon ombilical.
Quel genre d’homme est-il ? Reconnu sur la scène musicale haïtienne et étrangère, Rodrigue a été bercé par la musique, depuis sa tendre enfance. Ce guitariste hors pair enchante nos soirées dansantes et participe à diverses formations musicales. Il a de l’or dans ses mains et un est grand animateur, ce qui fait de lui un homme exceptionnel.
Au début des années 70, Rodrigue MILIEN faisait partie de la troupe Alcibiade. Un groupe théâtral qui, jusqu’à aujourd’hui fait déborder ses fans d’incontinence d’urine chaque dimanche à l’antenne de la station locale Caraïbes FM. Bien outillé pour embrasser une carrière musicale, il commença à faire de la musique en 1973, à la suite du départ de son père pour les États-Unis. En classe de rhétorique, à quelques jours des examens du baccalauréat, il abandonna l’école pour se concentrer sur sa carrière d’artiste. Muni d’une guitare bricolée avec un morceau de bois et des fils électriques, il commença à se produire avec Jules Similien, alias Toto Nécessité, qu’il accompagnait. Les deux ont commencé à s’exercer dans le minuscule atelier de tailleur de Toto à la rue Montalais.
Passionné de musique ayant une culture qui se passe de présentation, de retour de voyage des États-Unis, Rodrigue MILIEN a formé son groupe Combite Créole en 1974 avec trois autres musiciens. Egalement chanteur du style troubadour traditionnel qui était déjà en lui, il compose et écrit ses propres morceaux. Etant donné que le groupe n’avait pas les moyens pour acheter ses propres instruments, le batteur, musicien de la chorale de saint-Joseph, devrait emprunter une batterie de l’église. Il comptait 23 albums à son actif. A part le dernier, sorti directement en CD, tous sont sous forme de disques 33 tours. La plupart de ces albums (LP’s) ont été reproduits en CD, sans l’autorisation du chanteur.
On peut aimer ou ne pas aimer Rodrigue MILIEN, mais tout le monde sait que sa contribution dans la musique haïtienne est par excellence un travail de titan, de .. et de solitude. Son unique but était d’exprimer ses sentiments pour le métier qu’il représente, de transmettre à sa manière, à travers ses textes sa ferveur artistique, qui est source de vie spirituelle, et de thérapie. A l’époque, il n’en était pas question de gagner beaucoup dans ce circuit, c’était de l’art pour l’art. Être à même de détendre un publique demandait tout un monde.
Sorti en 1978 sous la production de Claude Mancuso, Rodrigue MILIEN reçut la somme $7. 500 gourdes pour son rôle dans le film “Ala Mizè Pou Rodrigue”. avec l’assistance du réalisateur, il composa la bande originale et retravailla entièrement l’histoire de ce long métrage qui allait devenir la première comédie musicale haïtienne d’alors. On se rappelle que l’acteur acheta sa première voiture d’occasion pour une somme de $300.00. N’étant pas encore expert en la matière, il se débrouilla pour la conduire tout seul. Cette bagnole, enveloppée d’un nuage de fumée noire, ne connaissant rien en mécanique, il se rappelle avoir ajouté trop d’huile dans le moteur.
Enfant têtu et désobéissant mais dévoué et déterminée, Rodrigue se rendait à l’insu de ses parents à des festivals qui se déroulaient le dimanche ou les jours fériés aux cinés Capitol, Rex et Paramount. Ne pouvant s’offrir un billet d’entrée, il attendait la fin du spectacle pour accéder à la salle, lorsque la barrière d’entrée était dégagée. Un jour, il participa même à un concours de blagues dans un festival du Jazz Des Jeunes au Théâtre De Verdure, animé par Colson Augustin de Radio Caraïbes. Sorti deuxième, il empocha une prime de 10 gourdes.
Le lendemain, alors que l’on donnait le nom des gagnants du concours, son nom fut cité sur les ondes. Il reçut de ses parents, qui écoutaient la station ce jour-là, une sévère raclée pour avoir traversé à pied et sans autorisation un dimanche soir, tout seul, du Bel Air jusqu’au Bicentenaire ou se trouvait le Théâtre de Verdure. Malgré cette bastonnade, sa décision de devenir artiste était irrévocable et ferme.
En dépit de ses talents, de son caractère humoristique, de sa passion pour la musique car on ne devient pas musicien sans aimer la musique, le Musicien Compositeur n’a pas pu vivre de son art. L’atmosphère de travail, l’inconstance des revenus, le manque de loyauté/solidarité entre musiciens et l’exploitation des promoteurs ont constitué un facteur aggravant pour le « Kombit Kreyol ».
De plus, le métier de musicien c’est un métier particulièrement prenant en fin de semaine et le week-end ce qui pourrait léser la vie de famille. Par ailleurs, malgré ses faibles moyens, il avait l’opportunité de se déplacer pour les tournées et concerts dans divers pays, notamment Paris. Le meilleur souvenir de la carrière de Rodrigue MILIEN remonte à 1983, pendant la tournée qu’il effectua ave Toto en France. Il reçut un accueil chaleureux dès son arrivée à l’aéroport Roissy-Charles de Gaulle, où une meute de journaliste le cueillit à sa descente d’avion. Confortablement installé dans une limousine, il fit le tour de la ville Lumière. A la fin de chacune de ses prestations aux petites heures du jour, les fans se bousculaient pour avoir une signature ou une dédicace sur des bouts de papier, des pochettes de cigarettes, des billets de banque.
Il a connu ses deux derniers grands moments de gloire aux cotés de l’un des artistes haïtiens de renom, Wyclef Jean qui a repris son titre “24èd tan”. C’était sa façon de sortir de l’oubli cet artiste de grand talent. 3n mai 2013, le Président de la République d’Haïti Michel Joseph Martelly a rendu hommage à ce polyvalent.
Enfin, il me semble important de parler du DEM (diplôme d’études musicales). En général, il y a différentes formations à suivre pour devenir musiciens. L’orientation vers une carrière musicale se fait dès le lycée, par la préparation d’un baccalauréat L (Lettres et Arts) ou Technique de Musique (mentionnant la spécialité musicale et l’instrument choisi) pour pouvoir ensuite se présenter aux concours d’entrée dans un conservatoire. Chanteur, Compositeur, Acteur, Guitariste prolifique, Rodrigue MILLIEN, le polyvalent, dépasse le cadre d’un simple musicien. N’étant pas musicien salarié des grands orchestres, par exemple, Les Difficiles et Gypsies De Pétion-Ville, l’Orchestre Tropicana d’Haïti, il a laissé des empreintes, des traces ineffaçables qu’aucun jeune artiste haïtien d’aujourd’hui ne peut égaler.
Pour quelqu’un qui n’a pas eu la chance de suivre des cours spécialisés en musique à l’université, Rodrigue est un musicien surdoué. Pour avoir bien maitrisé la guitare, Rodrigue MILIEN peut être classé parmi les plus grands guitaristes du monde entier, y compris George Benson. Prenons pour exemple une musique bien connue de sa discothèque, « kout ba rezidans » dans laquelle, c’est la guitare et son sens de l’humour qui sont l’essence du morceau. Partant du principe « Rendre à César ce qui est à César », si on devrait déceler un prix d’Oscar aux artistes haïtiens en Haïti, Rodrigue MILLIEN serait le premier à l’emporter.
Même s’il n’a jamais connu un grand succès commercial à l’échelle internationale, Rodrigue MILLIEN, excellent compositeur, grand guitariste de talent rare et original, …… Sa musique demeure toujours au musée imaginaire des grands musiciens haitiens. Cette double reconnaissance (d’Haïti Observateur et de l’auteure) permet de saluer son talent et son travail au service de la musique haïtienne et du théâtre local.
Rodrigue MILIEN savait faire des heureux. A votre tour de lui rendre la réciprocité. Il a fait danser toute une génération, maintenant il se trouve dans une situation critique, il a un besoin urgent de notre soutien. Ceux qui ont plus de trente-cinq ans se souviennent encore de ses chansons telles « Koutba Residans », « Byen Jwenn, Byen Kontre», « Nécessité », « Dassoman », « Fanm Blofè », « Noces gaté », « Mizè Ti Nèg », « Régété », », Lougawou» et bien d’autres titres qui ont traduit bien des réalités auxquelles nous faisons face tous les jours. Cela fait un bon moment que nous sommes à la recherche d’un autre Rodrigue MILIEN. Impossible de le trouver. Alors ne lui laissez pas éteindre par manque de support. Ne laissez pas passer sa carrière comme une lettre à la poste. Faites quelque chose.